2 477 chauffeurs de taxi c/ UBER France & UBER BV RG 2021 020 148 - jugement du 21 décembre 2023 (15ème chambre)
Mots-clés :
TRANSPORTS / Routier
CONCURRENCE/ Concurrence déloyale
Sommaire :
Interdiction des arrêts de règlement (article 5 code civil) : portée générale de l’arrêt Pétrovic (NON) - Concurrence des taxis par les VTC Uber– Concurrence déloyale résultant de la non-reconnaissance par Uber de la qualité de salarié de ses chauffeurs (NON)
Les chauffeurs de VTC, dont la prestation est intermédiée par la plateforme Uber, en concurrence directe avec les chauffeurs de taxis, sont soumis à différents textes dont le dernier est la loi dite Thevenoud (de janvier 2015).
Les 2 477 demandeurs, chauffeurs de taxi non-salariés exerçant leur activité sous le statut d’indépendant, considèrent que les chauffeurs de VTC, dont l’activité est intermédiée par la plateforme Uber, devraient être salariés de cette dernière ; ils appuient leur analyse sur deux arrêts de la Cour de cassation, le premier du 4 mars 2020 dit « Pétrovic » qui a fait l’objet d’un communiqué de la Cour, et le second très récent, du 25 janvier 2023, arrêts qui ont cassé des arrêts de cours d’appel refusant la reconnaissance de la qualité de salarié à un chauffeur Uber. Ils soutiennent que UBER, en s’exonérant des charges sociales afférentes au statut de salarié, réalise, en violation de la réglementation, une économie qui se traduit par une concurrence déloyale. UBER réplique que, sur les 60.000 chauffeurs affiliés auprès d’elle, seul un faible nombre d’entre eux ont revendiqué devant les prud’hommes un statut de salarié et que les décisions judiciaires, peu fréquentes, ont été dans des sens contraires.
L’affaire soulevait la question de la valeur normative de la jurisprudence :
Selon les chauffeurs de taxi, au-delà de l’analyse des modalités de fonctionnement de la plateforme Uber, la reconnaissance du statut de salarié des chauffeurs affiliés à celle-ci résulte d’un arrêt de principe de la Cour de cassation, qui a été publié, qui a fait l’objet d’un communiqué de presse, en des termes conduisant à penser que la solution rendue avait une portée générale, et qui a été confirmé en 2023 suite à la rébellion d’une cour d’appel ; la Cour a d’ailleurs précisé que le même schéma contractuel était appliqué à l’ensemble des « chauffeurs Uber ».
Uber répliquait que le code du travail a instauré une présomption légale de non-salariat (article L.8221-6 du code du travail) qui ne peut être renversée que par une analyse au cas par cas à l’issue d’un examen concret de la situation de chaque chauffeur revendiquant la requalification de son contrat. Elle ajoute, en ce qui concerne l’arrêt « Pétrovic », que les arrêts de règlement à portée générale sont prohibés en droit français.
Pour le tribunal, l’article 5 du code civil interdit au pouvoir judiciaire de procéder par arrêts de règlement. C’est ce qu’a confirmé le président de la chambre sociale de la Cour de cassation devant la commission d’enquête parlementaire « chaque arrêt dans le droit français correspond à un cas particulier dont le juge est saisi ; l’arrêt Uber, malgré son retentissement, est limité par l’autorité de la chose jugée : les décisions de requalification des chauffeurs Uber n’ont d’effets qu’entre les parties et n’ont pas de portée générale en raison du principe de relativité de la chose jugée qui interdit au juge de créer le droit ».
En outre le tribunal a relevé que, faute de produire aucun contrat de chauffeur indépendant, les demandeurs « échouent à démontrer que le système économique d’Uber se trouve mis en cause dans la mesure où tous les chauffeurs d’Uber seraient soumis à la même discipline et aux mêmes obligations selon des contrats standardisés ».
En conséquence le tribunal a dit que, en l’état de la législation applicable aux chauffeurs de VTC, le modèle économique de Uber n’est pas illicite et donc que ce groupe n’a pas commis d’acte de concurrence déloyale.
Article 5 code civil : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. »
Article L8221-6 du code du travail : « I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : 2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité .. de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi d'orientation des transports intérieurs ;
II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. »