CARREFOUR & INTERDIS c/ Groupe D’AUCY & CECAB RG 2021047758 – Jugement du 8 avril 2024 -
Mots-clés :
IRRECEVABILITE/ Défaut d’intérêt ou de qualité à agir
CONCURRENCE/ Pratiques anticoncurrentielles – Préjudice (évaluation)
Sommaire :
Participation à une entente sanctionnée par Bruxelles : recevabilité de la société négociatrice des contrats d’achat à agir à l’encontre d’un des membres de l’entente - preuve du préjudice subi du fait des achats à des prix trop élevés - charge de la preuve de la non-répercussion sur le client final.
Le groupe d’Aucy produit et commercialise des légumes. Le groupe Carrefour est, depuis l’année 2000, un de ses clients et, au sein de ce groupe, Interdis négocie les contrats d’achat pour le compte des filiales de commercialisation des produits acquis par le groupe. Au sein du Groupe d’Aucy, la société CECAB a été condamnée par la Commission Européenne, le 27 septembre 2019, à une amende de 18 millions €, pour participation à une entente mise en œuvre entre janvier 2000 et septembre 2013. Carrefour, qui a commercialisé les produits du groupe d’Aucy sur la période, estimant avoir subi un préjudice causé par les prix artificiellement élevés résultant de la participation du groupe d’Aucy à cette entente, a saisi ce tribunal.
Cette affaire soulevait deux questions : Interdis était-elle recevable ? Carrefour apportait-elle la preuve de son préjudice économique ?
1. Sur la recevabilité
La défenderesse soutenait qu’Interdis, la filiale de négociation des contrats, n’avait pas d’intérêt à agir car elle n’a ni acheté ni vendu les produits litigieux, étant une simple centrale de référencement.
Le tribunal rappelle que l’intérêt à agir n’est subordonné ni à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, ni à l’existence du préjudice invoqué par la demanderesse dans le cadre d’une action en responsabilité. Il relève qu’il est constant qu’Interdis, centrale de référencement, a bien négocié, au nom du groupe Carrefour, avec le groupe d’Aucy. En conséquence, il déboute la défenderesse de sa fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt à agir.
2. Sur la preuve du préjudice
Le tribunal :
- Constate qu’il a été établi par la Commission de Bruxelles que la défenderesse avait participé à une entente, ayant eu pour objet et effet de perturber le fonctionnement du marché, ce qui a conduit à une augmentation générale des prix, notamment vis-à-vis de Carrefour,
- Dit qu’il en résulte que la défenderesse a commis une faute engageant sa responsabilité,
- Rappelle qu’il appartient à Carrefour de rapporter la preuve qu’elle a subi un préjudice certain et déterminé,
- Indique qu’à cette fin il faut que « cette dernière prouve qu’elle n’a pas répercuté dans le prix facturé à ses clients le surcoût ayant résulté de l’entente, faute de quoi les dommages et intérêts constitueraient un enrichissement sans cause »,
- Dit « que les éléments de preuve présentés par Carrefour ne sont pas suffisamment probants pour accréditer l’existence certaine d’un préjudice économique ».
C’est pourquoi le tribunal déboute Carrefour de ses demandes de dommages et intérêts.
N. B. : Postérieurement aux faits de l’espèce, une directive européenne, transposée en 2017 à l’article L.481-4 du code commerce, a inversé la charge de la preuve du préjudice. Il a ainsi édicté une présomption simple de non-répercussion à ses clients du surcoût ayant résulté pour lui de l’entente impliquant son fournisseur.
Article L.481-4 : « L’acheteur…est réputé n’avoir pas répercuté le surcoût de ses contractants directs sauf preuve contraire d’une telle répercussion totale ou partielle apportée par le défendeur, auteur de la pratique anticoncurrentielle».