CASINO vs LDC et GVF RG 2020017505 - jugement du 18/12/2024 - 8ème chambre
Mots-clés :
CONCURRENCE / Pratiques anticoncurrentielles
Sommaire :
La décision de l’Autorité de la concurrence s’intéresse aux dommages faits à l’économie mais ne se prononce pas sur la responsabilité civile des parties, contrairement au tribunal.
Les sociétés du groupe LDC ainsi que les sociétés du groupe Galliance, ci-après GVF, ont été sanctionnées par l’Autorité de la concurrence, le 5 mai 2015, pour entente anticoncurrentielle « unique, complexe et continue » dans le domaine de la commercialisation de la viande de volaille. Cette entente a duré sept ans du 25 mai 2000 au 13 décembre 2007, et ses effets ont perduré jusqu’en 2008.
Les amendes ont porté sur un total de 15 millions d’euros.
Plus de trois cents sociétés du groupe de distribution Casino (ci-après Casino) estiment qu’elles ont subi un préjudice évalué à 56,3 M€ provenant de la diminution des marges arrière résultant de la perturbation des négociations commerciales et d’une hausse des prix d’achat sur la période de 2007 à 2008, ces sommes étant actualisées au coût moyen pondéré du capital (CMPC) au 1er janvier 2023.
Casino n’ayant pu obtenir d’ouvrir une discussion sur une indemnisation, assigne LDC et GVF en réparation de son préjudice.
Le tribunal considère tout d’abord que l’affaire doit être traitée selon les modalités du droit commun de la responsabilité instituant les règles de la responsabilité civile (faute, préjudice, lien de causalité) et non sur la présomption irréfragable de faute instituée par l’article 481-2 du code de commerce du fait de l’antériorité des pratiques par rapport à la date de mise en œuvre de ce nouveau régime.
Pour démontrer la faute de LDC et de GVF, Casino s’appuie exclusivement sur la décision de l’Autorité de la concurrence.
Le tribunal rappelle qu’il n’est pas lié par cette décision qui fournit, certes, des éléments de fait susceptibles de soutenir la caractérisation d’une faute à l’égard de tiers, mais qui s’est limitée aux dommages faits à l’économie sans se prononcer sur l’existence d’une faute civile.
Le tribunal a relevé dans le rapport de l’autorité de la concurrence l’existence de deux périodes très différentes quant au comportement des volaillers :
- sur la période 2001-2006, une soixantaine de réunions ont eu lieu où les industriels échangeaient sur les prix constatés sur le marché et sur des objectifs de prix mais leurs échanges n’ont pas permis d’instaurer une véritable entente tarifaire ; le tribunal conclut que, sur cette période, les défenderesses ne se sont pas rendues coupables d’une faute civile au sens de l’article 1240 du Code civil.
- sur la période comprise entre fin 2006 et 2007, au cours également d’une soixantaine de réunions, les volaillers ont principalement échangé sur les moyens de répercuter l’augmentation de leurs coûts dans les prix proposés à la grande distribution ; leur volonté commune et réaffirmée de faire passer la hausse de 8 % figure dans de nombreux comptes-rendus de réunions ; le tribunal retient que les volaillers se sont rendus coupables de comportements nettement anticoncurrentiels sous la forme d’une entente organisée en vue d’imposer leurs conditions tarifaires et qu’en conséquence, sur cette deuxième période, les défenderesses ont commis une faute civile au sens de l’article L.1240 du Code civil.
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal se concentre sur la deuxième période pour déterminer l’existence d’un préjudice et la présence d’un lien de causalité, l’entente anticoncurrentielle entraînant nécessairement un trouble commercial dont les conséquences doivent être réparées.
Pour déterminer le montant du préjudice, le tribunal prend comme point de départ l’estimation du cabinet Eklub, mandaté par Casino, soit 3,4 M€, mais tient compte de biais soulevés par les défenderesses qui « atténuent la robustesse du lien de causalité », dont essentiellement l’augmentation par Casino de ses prix au consommateur, plus qu’il n’aurait été nécessaire pour compenser l’augmentation de son prix d’achat.
Le tribunal, en conséquence, retient une valeur de préjudice, hors actualisation, de 1,3 M€.
Casino demande enfin l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi du fait de l’écoulement du temps. Sa demande porte sur l’application d’un taux CMPC ou coût moyen pondéré du capital qui est un taux de rendement attendu par les apporteurs de capitaux, compte tenu de la rémunération d’un placement ayant le même profil de risque sur le marché ; il incombait donc à Casino de faire état de projets d’investissements auxquels elle a dû renoncer du fait des pratiques des défenderesses, ce qu’elle ne fait pas.
Le tribunal retient donc d’appliquer au montant de la réparation le taux d’intérêt légal correspondant à un placement sans risque.