LONE STAR GROUP LTD, société de droit étranger, c/ TUNISAIR TECHNICS et TUNISAIR, sociétés de droit tunisien - RG 2021003776 - jugement du 22 juin 2023
Mots-clés : COMPETENCE – Compétence territoriale
Sommaire : Si une société mère non signataire d’un contrat conclu par sa fille n’est normalement pas tenue par ce contrat, en raison de l’effet relatif des conventions et de l’indépendance des personnes morales, elle peut, malgré tout, être considérée comme partie au contrat lorsqu’elle s’est immiscée de façon constante dans les relations entre sa fille et le cocontractant.
TUNISAIR est la compagnie aérienne tunisienne. Sa filiale à 100 %, TUNISAIR TECHNICS, est chargée de la maintenance de sa flotte d’aéronefs.
Pour l’entretien des moteurs d’avion LOCKHEED, dont sont équipés plusieurs appareils de TUNISAIR, TUNISAIR TECHNICS sous-traite à LONE STAR, intermédiaire désigné par LOCKHEED, avec qui elle a contracté en 2018, étant entendu que les opérations doivent être réalisées dans les ateliers de LOCKHEED. Le contrat est régi par la loi française et fait attribution de juridiction au tribunal de commerce de Paris.
Plusieurs factures de LONE STAR, contestées par TUNISAIR TECHNICS, étant restées impayées, LONE STAR assigne TUNISAIR et TUNISAIR TECHNICS devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer à ce titre quelque 22 M€.
TUNISAIR soulève une exception d’incompétence, faisant valoir que son siège social est à Tunis et que c’est à Tunis qu’elle doit être assignée, la clause attributive de juridiction du contrat invoquée par LONE STAR lui étant étrangère puisqu’elle n’est pas partie au contrat conclu entre TUNISAIR TECHNICS et LONE STAR seules.
Le tribunal reconnaît que l’effet relatif des contrats et l’autonomie des personnes morales s’opposent normalement à ce qu’une société mère, qui n’est pas signataire du contrat conclu par sa fille, soit liée par ce contrat.
Le tribunal relève cependant que TUNISAIR est intervenue de façon constante dans les relations contractuelles. Le tribunal cite, l’une après l’autre, les très nombreuses pièces produites par la demanderesse démontrant l’évidente implication de TUNISAIR dans ces relations :
- Dès les pourparlers initiaux, le président de TUNISAIR, qui n’avait aucune fonction chez TUNISAIR TECHNICS, avait accepté l’invitation de LOCKHEED à visiter leurs installations et à « entrer en discussion pour les affaires à venir »,
- Dans la phase de négociations, le projet de contrat avait fait l’objet de nombreuses demandes de modification par le directeur juridique de TUNISAIR (notamment l’inclusion d’une clause attributive de compétence au tribunal de commerce de Paris),
- Le président de TUNISAIR participait régulièrement aux réunions de suivi aux côtés du directeur général de TUNISAIR TECHNICS,
- Lors de la réception technique des premiers moteurs, TUNISAIR TECHNICS confirme à LONE STAR que les personnes présentes à la réception sont bien les personnes habilitées à décider chez TUNISAIR,
- Au cours des négociations destinées à trouver une solution amiable au litige qui oppose les parties, TUNISAIR TECHNICS fait état de la bonne volonté de TUNISAIR pour parvenir à une solution, puis TUNISAIR, sous la plume de son président, adresse à LONE STAR une proposition de solution au litige pendant,
- Et le président de TUNISAIR continuera de s’impliquer personnellement dans les réunions qui suivront.
Le tribunal en conclut que « l’implication de TUNISAIR dans la négociation, l’exécution, la phase précontentieuse …et les décisions prises par TUNISAIR TECHNICS » a, légitimement, donné à croire à LONE STAR qu’elle était partie au contrat même si elle ne l’avait pas signé et, relevant, de surcroît, que l’attribution de compétence au tribunal de commerce de Paris résultait « de l’intervention de TUNISAIR dans la rédaction du contrat », se déclare compétent à l’égard de TUNISAIR.