M. X c/ CREDIT LYONNAIS (LCL) + ALDETA RG 2022041678 - jugement du 19 juillet 2024 (1ère chambre)
Mots-clés :
BANQUE - Responsabilité
Sommaire :
Fraude due à l’usurpation d’identité de la société cocontractante - Virements bancaires effectués au profit de l’usurpateur - Manquement de la banque à son devoir de vigilance sur le destinataire desdits virements – Condamnation de la banque à indemniser son client.
Monsieur X a été démarché par courriel par un conseiller de la société ALDETA pour un investissement dans un EHPAD situé à Malaga en Espagne. L'investissement locatif se montait à 105 K€.
Le contrat d’investissement a été signé en novembre 2021 et deux virements en date des 5 et 28 décembre 2021, d’un montant total de 105 K€, ont été effectués à une société Colisée par LCL, banque de M. X, sur sa demande par messagerie sécurisée entre LCL et ses clients, accompagnée d’une facture à entête de la société ALDETA.
Ne percevant pas les loyers prévus, M. X découvre deux mois plus tard que la société ALDETA a fait l’objet d’une usurpation d’identité et qu’il a été victime d’une escroquerie pour laquelle il a déposé plainte, les fonds transférés ayant disparu.
Après avoir, dans un premier temps, assigné les deux sociétés LCL et ALDETA, M. X réserve son action principalement à l’encontre de LCL, la procédure pénale diligentée par ALDETA étant toujours en cours.
M. X reproche à LCL d’avoir manqué à son devoir de vigilance en exécutant les deux virements litigieux de 90 K€ et 15 K€ en dépit d’anomalies apparentes.
Le tribunal rappelle le devoir de vigilance de la banque à l’égard de ses clients en matière de virements, la banque devant vérifier que :
- « les ordres émanent effectivement du titulaire du compte » bancaire ;
- « les instructions du client s’inscrivent dans la logique des relations d’affaires avec des fournisseurs identifiés par le titulaire du compte » ;
- « les montants des virements ne sont pas exceptionnels ».
Le tribunal note qu’en l’espèce le premier versement de 90 K€ est manifestement très supérieur aux opérations habituelles de M. X, mais qu’« il a été dûment validé par celui-ci », lorsque son conseiller de clientèle lui a téléphoné.
Il retient, en revanche, que ce premier virement a été effectué au profit d’une société étrangère à la société ALDETA, la société Colisée, qui ne figure sur aucun des documents contractuels et n’est pas l’auteur de la facture litigieuse, à entête de la société ALDETA, transmise à LCL par M. X, et que cette « anomalie intellectuelle » aurait « dû attirer l’attention…de son chargé de clientèle, eu égard à l’absence de lien de droit entre cette société et l’émetteur » de ladite facture.
Il constate, pourtant, que « la fiche de validation est taisante » sur l’évocation entre M. X et son chargé de clientèle de cette anomalie apparente ; que la banque ne rapporte pas la preuve d’avoir échangé sur l’anomalie intellectuelle qui ressort de la demande de virement ; et en conclut que « la banque a manqué fautivement à son obligation de vigilance ».
S’agissant du second virement, à destination d’une autre société que la première, mais toujours différente d’ALDETA, le tribunal relève que l’instruction par messagerie n’a pas donné lieu à un contre-appel de la part du nouveau chargé de clientèle, caractérisant un nouveau manquement fautif.
Le montant du préjudice ayant vocation à être réparé correspond à la perte de chance de ne pas contracter ou de ne pas avoir pu renoncer à ladite opération, perte de chance qui s’apprécie par rapport à la probabilité de renoncer à l’opération litigieuse si M. X avait été informé des risques de fraude ou de perte des sommes investies. Or « rien ne permet d’affirmer que, dûment mis en garde par…la banque, M. X » aurait renoncé. C’est pourquoi le tribunal estime la perte de chance à 50 % des sommes transférées par la banque.
Le lien de causalité entre le manquement de la banque à son devoir de vigilance et le préjudice subi par M. X étant manifeste, le tribunal condamne LCL à lui verser une somme égale à la moitié des sommes virées.