LE CERCLE DES JUGES CONSULAIRES DE PARIS
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M. X et autres administrateurs de CCFS c/ RSP et CCFS Jugement du 30 juin 2023 RG 2023 005 122 (16ème chambre) et jugement du 15 décembre 2023 RG 2023 052 452 (16ème chambre)

Mots-clés :
IRRECEVABILITE / Défaut d’intérêt ou de qualité à agir
DROIT DES SOCIETES / Annulation de décisions sociales – Dirigeants sociaux

Sommaire : 

Dirigeants non associés : intérêt à agir en nullité de décision sociale - Annulation de décision sociale prise en violation des statuts d’une SAS

RG 2023 005 122

Objet du litige

Les Cours de Civilisation française de la Sorbonne dispensent depuis une centaine d’années des cours de français à des étudiants étrangers à Paris. Cette activité, longtemps exercée directement au sein de la Fondation Robert de Sorbon (ci-après « FRS »), d’utilité publique, avait été filialisée en 2021, la Fondation devant se recentrer sur sa mission d’utilité publique, avec la création de la SAS Cours de Civilisation française de la Sorbonne (ci-après « CCFS »), filiale de FRS via une holding intermédiaire, la SAS ROBERT DE SORBON PARTICIPATIONS (ci-après « RSP »), associée unique.

Selon les principes directeurs de cette restructuration, la direction de CCFS devait bénéficier d’une totale indépendance par rapport à son associée unique, qui ne devait aucunement s’immiscer dans la gestion et la gouvernance de CCFS. C’est ainsi que l’associée unique ne pouvait statutairement, une fois les premiers administrateurs (dont le président) nommés et le conseil d’administration ainsi constitué, prendre des décisions importantes sans l’accord préalable du conseil d’administration.

Le 30 septembre 2022, le conseil d'administration de CCFS, présidé par M. X, recommande à l’associé unique, RSP, de procéder à une recapitalisation de la société.

Le 5 décembre 2022, refusant de recapitaliser, RSP décide de modifier les clauses des statuts régissant la révocation des mandataires sociaux. Le 9 décembre, le conseil d'administration de CCFS considère que cette modification est irrégulière pour avoir été décidée sans son accord préalable, prévu par les statuts. Mais, le 15 décembre, RSP révoque le président et les administrateurs et les remplace.

Ayant été autorisés à assigner à bref délai, M. X et les administrateurs révoqués saisissent le tribunal le 24 janvier 2023.

Prétentions

Constat de violation des statuts.  Nullité des décisions prises les 5 et 15 décembre. Rétablissement dans leurs fonctions des administrateurs et du président de CCFS, sous astreinte.

Décision du tribunal

La demande est déclarée recevable et bien fondée.

Motivation

1. Défaut d’intérêt et de qualité à agir

Les défenderesses soulèvent une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir au motif que les demandeurs, non associés, ne sont pas parties aux statuts dont ils invoquent la violation pour fonder leur action.

Pour le tribunal, les demandeurs doivent néanmoins être considérés comme des personnes intéressées au sens de l'article L227-9 du code de commerce dans la mesure où ils ont été révoqués alors qu’ils n’auraient pu l’être si les statuts avaient été respectés.

2. Conséquences de la violation des statuts dans une SAS

Traditionnellement, la Cour de cassation affirmait que la violation des statuts d’une SAS ne pouvait être cause de la nullité de la décision sociale ainsi prise au motif que, selon l’article L 235-1 du code de commerce, seule le permet la violation d’une disposition expresse ou impérative de la loi. Cependant, par un important revirement de jurisprudence, la Cour de cassation considère aujourd’hui que peut être annulée une délibération sociale prise en violation d’une clause statutaire si cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. C’est à la lumière de cette position que le tribunal examine les demandes.

3. Modification des statuts

Les conditions dans lesquelles une SAS est dirigée sont fixées par les statuts (article L 227-5 du code de commerce). Or, l'article 15-1 des statuts de CCFS prévoit à la fois que l’associé unique peut prendre à tout moment toute décision majeure relevant de sa compétence (dont la modification des statuts) et que les décisions majeures ne peuvent être prises sans l’approbation préalable du conseil d’administration. Contrairement aux affirmations des défenderesses, il n’y a là, pour le tribunal, aucune incompatibilité : ce n'est pas le conseil d’administration qui modifie les statuts, mais c’est bien l’associé unique qui y procède, sous réserve d’avoir obtenu l’accord préalable du conseil. En l’espèce, il y a donc eu violation des statuts, le conseil étant unanimement opposé à la modification statutaire et cette violation changeait le résultat, puisque la modification ne pouvait être adoptée en respectant les statuts. La décision doit en conséquence être annulée.

4. Révocation du président

Les statuts initiaux étant rétablis, le président ne pouvait être révoqué que par le conseil, qui s’y opposait. Sa révocation par l’associée unique doit donc être annulée.

Les défenderesses prétendaient, en outre, que M. X ne pouvait être rétabli dans ses fonctions car elles sont incompatibles avec son statut de professeur d’université. M. X produit cependant l’autorisation écrite de son supérieur hiérarchique à l’université pour occuper ces fonctions et le tribunal ordonne donc le rétablissement, sous astreinte, de M. X. en tant que président.

5. Révocation des administrateurs

Dans le silence des statuts, la solution retenue pour le président est étendue aux administrateurs, car le droit de révocation des administrateurs par l’associée unique mettrait à mal la protection statutaire du président (celui-ci pouvant être révoqué par le conseil, il suffirait de changer les administrateurs pour obtenir la révocation du président).

Leur révocation est donc annulée par le tribunal, qui ordonne leur rétablissement sous astreinte.

RG 2023 052 452

RSP, agissant en tant qu’associée unique de CCFS, prend acte le 18 juillet 2023 du jugement ci-dessus ordonnant le rétablissement dans leurs fonctions de M. X et des trois administrateurs, mais revient, le même jour, sur l’impossibilité pour M. X d’exercer ses fonctions de président au motif d’une prétendue incompatibilité de telles fonctions avec son statut de fonctionnaire et le remplace aux fonctions de président. Quelques jours plus tard, RSP révoque à nouveau les autres administrateurs au motif qu’ils sont révocables ad nutum.

C’est pourquoi M. X et deux administrateurs saisissent le tribunal aux fins de voir annuler les décisions ci-dessus et d’ordonner, sous astreinte, leur rétablissement dans leurs fonctions.

Le tribunal fait droit aux demandes.

  1. S’agissant du président, le tribunal constate que M. X, professeur d’université, produit la lettre par laquelle son supérieur hiérarchique à la Sorbonne confirme la possibilité pour lui d’exercer un mandat social au sein de CCFS.
    Le tribunal relève que cette autorisation n’a pas fait l’objet d’une contestation devant le juge administratif, qui serait seul compétent. Le tribunal, rappelant que ce point avait déjà fait l’objet d’un débat lors du jugement ci-dessus, en conclut que RSP a, en réalité, cherché à contourner le jugement du 30 juin 2023. Il annule donc les décisions du 18 juillet 2023.
  2. Quant aux administrateurs, la comparaison faite par les défenderesses avec le statut des administrateurs de société anonyme n’est pas raison. En effet, la gouvernance des SAS n’est pas, pour l’essentiel, régie par la loi, mais par les statuts, et, en l’espèce, comme rappelé dans le jugement du 30 juin 2023, toute révocation requiert l’accord préalable du conseil d’administration. Faute de cet accord, la nouvelle révocation doit donc être annulée en raison de la violation des statuts, comme l’avait été la précédente.
  3. Le tribunal ordonne en conséquence le rétablissement dans leurs fonctions des demandeurs et la modification en résultant au RCS, sous astreinte de 500 € par jour.


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