M. X vs SAS A RG 2023062094 - jugement du 04/11/2024 – 16ème chambre
Mots-clés :
DROIT DES SOCIETES / Dirigeants sociaux – pacte d’associés
Sommaire :
Clause de « bad leaver » dans un pacte d’associés – Révocation déloyale d’un dirigeant – Réparation du préjudice en résultant
M. X est l’un des fondateurs de la SAS A, start-up spécialisée dans les transactions sur cryptoactifs. Il détenait, en 2021, 926 actions (un peu plus de 9 % du capital), qu’il avait souscrites au nominal de 0,01 €, lors de la constitution de la société Il cumulait un mandat social de directeur général non rémunéré et un contrat de travail de directeur France. Il était également membre du conseil de surveillance.
La start-up ayant besoin de se refinancer, interviennent, en mars 2021, puis en mars 2022, deux augmentations de capital successives, des investisseurs financiers entrant au capital :
- Lors de la première, les actions nouvelles étaient émises au prix unitaire de 292,50 € et M. X souscrivait à 171 actions.
- Et la seconde se faisait par l’émission d’actions nouvelles au prix unitaire de 5 474,42 €. Sur cette base, les 1 097 actions détenues par M. X se trouvaient valorisées à 6 M€.
Concomitamment à la seconde augmentation de capital, était conclu un pacte d’associés, aux termes duquel les fondateurs s’engageaient à céder leurs actions au cas où ils ne feraient plus partie de la société. Le prix de cession, variable selon la date et la raison du départ, était largement ou totalement décorrélé de la valeur extériorisée lors des augmentations de capital. Dans le cas d’une révocation pour faute lourde avant le 1er février 2023, les conditions étaient même particulièrement sévères puisque le rachat forcé devait se faire au prix de revient.
En novembre 2022, M. X était convoqué à une réunion du conseil de surveillance, dont l’objet était notamment l’autorisation préalable à sa révocation. Puis, une AGO révoquait ses mandats le 8 décembre. M. X était ensuite mis à pied à titre conservatoire, puis licencié. Enfin, le 5 janvier 2023, il était révoqué du seul mandat qui lui restait au conseil d’administration d’une filiale.
Certains actionnaires ont alors activé la clause de « claw back » (clause de rachat forcé) du pacte d’actionnaires et repris ses actions pour 50 000 €.
Considérant sa révocation abusive et dans le fond et dans la forme, M. X assigne la société A en réparation de ses préjudices matériel et moral.
M. X soutient avoir été révoqué de façon déloyale et de mauvaise foi, à seule fin de permettre à ses associés de racheter ses actions à un prix dérisoire et :
- aucun motif de révocation ne lui a été notifié : il n’a jamais su ce qui lui était reproché,
- le principe du contradictoire n’a donc pas été respecté,
- la révocation s’est faite avec brutalité et a été accompagnée de manœuvres vexatoires.
La société réplique que M. X était révocable ad nutum, qu’il lui a été reproché d’avoir « gravement manqué à son obligation de loyauté à l’égard de la société », qu’il a pu s’exprimer lors de l’A.G. qui se tenait huit jours plus tard et qu’il n’y a eu aucune circonstance brutale ou vexatoire.
Le tribunal :
- rappelle que, lorsqu’un dirigeant de SAS est révocable ad nutum, comme en l’espèce, le juge n’a pas à apprécier la justesse des motifs invoqués pour sa révocation,
- mais que, pour autant, sa révocation peut ouvrir droit à réparation du préjudice moral si elle a été brutale ou vexatoire ou si elle n’a pas respecté le principe de loyauté, imposant qu’il puisse faire valoir sa défense avant la révocation,
- et ajoute que, en cas d’abus de droit ou de fraude, le dirigeant révoqué est fondé à réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice matériel résultant de sa révocation, sur la base de l’article 1240 du code civil.
Analysant le cas d’espèce, le tribunal :
- constate qu’il ressort de l’examen des éléments produits que M. X n’a jamais été informé de ce qui fondait l’accusation de déloyauté vis-à-vis de la société,
- observe que, même à l’audience, la défenderesse n’a pas été capable de caractériser ce qui fondait cette accusation,
- retient qu’il n’existait, en réalité, aucun motif à cette révocation, dont la brutalité ne pouvait s’expliquer que par la possibilité avant le 1er février 2023 de déclencher la clause de « claw back » permettant aux autres associés de racheter les actions de l’associé sortant à un prix totalement décorrélé de leur valeur de marché,
- et en conclut que cette révocation procédait d’une fraude ou d’un abus de droit permettant à la victime d’invoquer un préjudice matériel, au-delà du préjudice moral résultant du non-respect du contradictoire, du caractère vexatoire que constituait cette accusation infondée formulée « en présence d’un aréopage d’investisseurs financiers » et de l’atteinte à sa réputation en résultant.
C’est donc à une double indemnisation que se livre le tribunal : au titre du préjudice moral et au titre du préjudice matériel, en se fondant toutefois, pour ce dernier, non pas sur la valeur purement théorique de la société résultant des augmentations de capital, comme le revendiquait le demandeur, mais sur les dispositions du pacte d’associés applicables en cas de départ après le 1er février 2023 pour une révocation sans faute lourde.