MINISTERE ECONOMIE contre ITM - RG 2021 022 951 - jugement du 5 octobre 2023 (6ème chambre)
Mots-clés :
IRRECEVABILITE / Défaut d’intérêt ou de qualité à agir (ou à défendre)
Sommaire
Autonomie des personnes morales - Qualité à défendre du commettant pour faute délictuelle du commissionnaire – L’existence de la faute alléguée est question de fond et non de recevabilité de l’action
La grande distribution alimentaire a, depuis une dizaine d’années, implanté tout ou partie de ses centrales d’achat à l’étranger. C’est le cas des 3 Mousquetaires, ci-après ITM, implanté dans plusieurs pays européens.
La société de tête du groupe, ITM Entreprises, ci-après ITM E, propriétaire des enseignes commerciales, a pour filiale une centrale d’achat en France, ITM AI, en charge de la politique commerciale, du référencement et des approvisionnements. C’est celle-ci qui négocie avec les fournisseurs français. Elle achète et revend aux points de vente du réseau français.
Sa filiale de droit belge, ITM AB, joue le même rôle pour le réseau belge. Elle est, en outre, commissionnaire d’ITM AI chargée de négocier auprès de groupes industriels internationaux.
Par ailleurs, ITM E a une participation minoritaire dans une société de droit suisse, AGECORE, alliance internationale de six grands distributeurs européens, qui agit en tant que commissionnaire de ses actionnaires et négocie pour leur compte avec de grands fournisseurs multinationaux communs aux six.
Le ministre de l’Économie, ci-après le Ministre, a conduit une enquête sur le caractère obligatoire ou non, pour les fournisseurs français des magasins ITM en France, de conclure des contrats commerciaux avec les centrales d’achat belge et suisse. A l’issue de ses investigations, le Ministre a saisi ce tribunal, sur le fondement de l’article L.422-6 ancien du code commerce (déséquilibre significatif), aux fins de voir les sociétés ci-dessus condamnées in solidum à une amende pénale de quelque 150 M€ et pour leur enjoindre, sous astreinte, de modifier leurs pratiques commerciales.
Outre de nombreuses autres questions, faisant l’objet d’autres fiches, l’affaire soulevait celle de la recevabilité de l’action à l’encontre d’ITM E.
ITM E, défenderesse, prétend n’avoir pas qualité à défendre pour les fautes délictuelles alléguées. En effet, affirme-t-elle, elle n’a aucun lien avec les fournisseurs concernés par l’enquête du Ministre, qui ont contracté :
- soit avec ITM AB, avec laquelle elle n’a qu’un lien capitalistique indirect, mais pas de lien opérationnel. Elle n’est aucunement impliquée dans les négociations menées par cette filiale d’ITM AI, commissionnaire d’ITM AI, et l’autonomie des personnes morales s’oppose à ce que sa responsabilité soit recherchée au simple motif qu’ITM AB appartient au groupe.
- soit avec AGECORE, à laquelle elle est liée par un contrat de commission. Elle n’intervient en aucune façon dans les négociations avec les fournisseurs, menées par le commissionnaire, et le commettant ne peut être tenu pour responsable d’éventuelles pratiques restrictives de concurrence de son commissionnaire.
Le Ministre répond que les quatre sociétés agissent en étroite coopération et forment « un même ensemble indissociable ».
Le tribunal, relevant qu’il y a lieu de distinguer recevabilité et bien-fondé, estime que l’existence d’une éventuelle collusion entre ITM E et ses filiales « n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès ».