LE CERCLE DES JUGES CONSULAIRES DE PARIS
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SA CASINO et 256 de ses filiales c/ SAS VANIA EXPANSION & JOHNSON&JOHNSON (JJSB) RG 2017 065 240 - jugement du 20 octobre 2024 (15ème chambre)

Mots-clés :
IRRECEVABILITE / Prescription et forclusion
CONCURRENCE/ Pratiques anticoncurrentielles

Sommaire :

Point de départ de la prescription suite à une entente : date de la décision de l’Autorité de la Concurrence - Preuve de la responsabilité d’un membre d’une entente dans le dommage (avant 11 mars 2017) - Démonstration du préjudice et du lien de causalité entre la pratique sanctionnée et le préjudice - Calcul du préjudice : méthode des doubles différences. 

VANIA, filiale de JJSB, a été condamnée en 2014 par l’Autorité de la Concurrence pour avoir participé entre 2003 et 2006 à une entente anticoncurrentielle réunissant des fournisseurs de produits d’hygiène ; cette entente avait notamment pour objectif que la diminution de la marge avant des distributeurs ne puisse être compensée par une augmentation de la marge arrière obtenue dans le cadre des négociation commerciales. La condamnation prononcée par l’Autorité est devenue définitive en 2019.

CASINO et les 256 sociétés liées à cette dernière, ci-après CASINO, considèrent que ces pratiques lui ont causé un important dommage du fait de la perte de la marge arrière qu’elle a fait évaluer par un cabinet d’expert-comptable et ont assigné VANIA en 2017.

Cette dernière dit que CASINO est irrecevable car son action est prescrite et en toute hypothèse que CASINO est défaillante à apporter la preuve des différents préjudices ainsi que d’un lien de causalité entre les pratiques qui lui sont reprochées et les préjudices allégués.

Cette affaire soulevait une série de questions : point de départ de la prescription, modalité de preuve du préjudice suite à une entente, lien de causalité entre la faute commise et ledit préjudice, méthode de calcul de celui-ci.

  1. Sur la prescription

    VANIA soutient que CASINO a connu l’existence de l’entente dès qu’elle a été auditionnée par l’Autorité de la Concurrence, soit en 2011, et donc que son action, engagée en octobre 2017, est prescrite par la règle des 5 ans depuis la connaissance des faits.

    Le tribunal relève que CASINO ne pouvait pas avoir la certitude que VANIA avait participé à l’entente, ni la durée pendant laquelle les faits répréhensibles s’étaient déroulés, ni le périmètre sectoriel concerné, et donc n’avait pas les éléments nécessaires pour savoir « si de tels agissements avaient été susceptibles d’avoir eu un impact sur ses marges arrière lui causant un préjudice ».

    En conséquence le tribunal dit « que le point de départ de la prescription est la date de la décision de l’Autorité condamnant VANIA, soit en décembre 2014, et dit l’action de Casino recevable car non prescrite ».

  2. Sur les modalités de preuve d’un préjudice pour une entente antérieure à 2017

    Le tribunal relève que  la directive « dommages » de 2014, édictant une présomption irréfragable de responsabilité de l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle, n’ayant été transposée en droit français que le 11 mars 2017, n’est pas applicable aux faits de l’espèce, l’entente s’étant produite entre 2003 et 2006. Il dit que, dès lors, « il appartient à CASINO de démontrer l’existence d’une faute civile, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice et qu’il examinera cette instance au visa de l’article 1240 du code civil».

  3. Sur la faute de VANIA

    Le tribunal relève que la décision de l’Autorité a été confirmée en dernier ressort, que l’Autorité a jugé que « les pratiques concertées ont permis à la majorité des industriels les plus puissants des secteurs de l’hygiène d’opposer aux enseignes de la grande distribution une réponse commune… »  et qu’il en résulte que VANIA a commis une faute.

  4. Sur le lien de causalité avec le préjudice

    Le tribunal rappelle que « la loi Galland, puis la circulaire Dutreil puis l’engagement Sarkozy ont peu à peu transféré les marges entre les producteurs et les distributeurs, que, de ce fait, les distributeurs ont peu à peu calé leurs prix de vente aux consommateurs sur des prix proches du seuil de revente à perte et que dès lors l’essentiel de la rémunération des distributeurs a été concentré sur les marges arrière ».

    Le tribunal relève un faisceau d’indices, retenu d’ailleurs dans la Décision, ..., qui permet au tribunal d’établir le lien de causalité entre l’Entente et les pertes des distributeurs sur les marges arrière ».

    En conséquence, le tribunal dit que « le lien de causalité entre la faute de VANIA et le préjudice de Casino est suffisamment établi ».

  5. Sur la méthodologie de calcul du préjudice

    CASINO propose, comme scénario contrefactuel pour calculer son préjudice, la méthode dite des « doubles différences », consistant à comparer sur la même période l’évolution des marges arrière pour les produits litigieux avec celle d’un autre type de produits non touché par une entente (dit « groupe de contrôle »).

    Le tribunal considère comme pertinente cette méthodologie car elle permettrait de rétablir ce qu’auraient été les marges arrière de CASINO si elles n’avaient pas été affectées par l’Entente.

  6. Sur l’absence de pertinence du calcul de CASINO

    CASINO a retenu comme « groupe de contrôle » pour le scénario contrefactuel le secteur des surgelés.

    Le tribunal se doit donc d’examiner si ce secteur présente des caractéristiques proches de celui des produits d’hygiène, objet de l’Entente ; or il a relevé une différence très importante entre les deux secteurs, à savoir le taux de pénétration des marques distributeurs (« MDD ») : en effet, en ce qui concerne les MDD, les distributeurs ont une plus grande capacité à faire pression sur les fabricants. Le tribunal en a déduit que, sur les produits surgelés, CASINO était en mesure d’obtenir des marges arrière plus élevées que pour les produits d’hygiène.

    Le tribunal constate aussi que CASINO ne démontre pas que les taux de marge arrière dans les surgelés ont évolué de la même façon que dans les produits d’hygiène, que ce soit pendant la période antérieure à l’Entente ou pendant la période postérieure à celle-ci, ce qui est une condition essentielle pour rendre robuste la méthode des « doubles différences ».

    Le tribunal dit qu’il résulte de ces deux points que, le secteur des surgelés n’étant pas un « groupe de contrôle » pertinent pour évaluer le préjudice de CASINO, il ne retient donc pas le quantum du préjudice sollicité.

    Mais le tribunal dit qu’ « il s’infère nécessairement un préjudice d’une action anticoncurrentielle » et use « de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation » pour évaluer celui-ci, et fixer le montant de la condamnation de VANIA.

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