LE CERCLE DES JUGES CONSULAIRES DE PARIS
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SAS COTELEC c/ SARL INGUN de droit allemand RG 2022 061 374 - jugement du 1er février 2024 (3 ème chambre)

Mots-clés :
RUPTURE BRUTALE / Causes de la rupture - durée du préavis
CONCURRENCE / Pratiques anticoncurrentielles

Sommaire :

Faute du fournisseur pendant la durée du préavis - Raccourcissement du préavis pour faute – Parasitisme - Dommages et intérêts même en l’absence d’un chiffrage du préjudice.

La SARL INGUN, société de droit allemand, est un des grands fabricants de matériels électroniques ; elle a confié à la SAS COTELEC la distribution exclusive en France de ses produits. Elle s’est interdit tout démarchage actif vers la France et a accordé à COTELEC une commission de 10 % pour ses ventes passives vers des clients français de produits qu’elle distribuait dans l’UE. Constatant une baisse de ses ventes, elle a, le 12 mai 2021, mis un terme à la relation tout en accordant à COTELEC un préavis de 24 mois. Mais, le 2 février 2022, COTELEC a annoncé avoir conclu un partenariat exclusif avec la principale concurrente de INGUN et cette dernière a simultanément constaté une chute drastique de ses ventes en France. Estimant que COTELEC n’exécutait pas de manière loyale son préavis, INGUN l’a réduit pour l’avancer au 31 mars 2022. COTELEC a alors saisi ce tribunal pour rupture brutale et, reconventionnellement, INGUN demande sa condamnation pour ses agissements constitutifs de pratiques de concurrence déloyale.

  1. La demanderesse soutenait en premier lieu que, comme elle n’avait pas d’objectif de chiffre d’affaires, elle ne pouvait avoir commis une faute du seul fait de la réduction des ventes ; il en résultait, selon elle, que la réduction drastique du préavis était constitutive d’une rupture brutale.
    Pour le tribunal, le préavis de 24 mois, accordé initialement, était suffisant tant au regard de l’article L.442-1 du code de commerce que de la jurisprudence en la matière, car ledit délai prenait en compte l’ancienneté de la relation commerciale et la nécessité pour COTELEC de disposer du temps nécessaire pour réorienter ses activités ; or, par la chute brutale de commandes, au moment où elle avait noué un nouveau partenariat, COTELEC avait délibérément méconnu ses obligations vis-à-vis d’INGUN pendant la période du préavis qui lui avait été accordée : le tribunal a dès lors constaté que la résiliation anticipée du contrat était donc justifiée et a, en conséquence, débouté COTELEC de ses demandes au titre de la rupture brutale.
  2. COTELEC prétendait, ensuite, qu’INGUN n’aurait pas respecté son exclusivité en distribuant directement ses produits à un client français.
    Le tribunal rappelle que le règlement de l’UE 330/2010 édicte que l’exemption ne s’applique pas à « la restriction des ventes actives ou passives par les membres d’un système de distribution sélective qui agissent en tant que détaillants sur le marché… » ; il constate que COTELEC n’a pas rapporté la preuve que l’entreprise cliente d’INGUN a eu une démarche active d’achat pour revente des produits de cette dernière sur le marché français ; bien au contraire, les pièces montrent qu’il s’agit d’un client historique d’INGUN pour l’Europe de l’Est, que c’est lui qui a démarché INGUN car son distributeur avait disparu et qu’au surplus ladite société n’a jamais été cliente de COTELEC et qu’enfin cette dernière, parfaitement au courant, percevait 10 % des commandes passées dans le cadre d’une vente passive ; le tribunal a donc débouté COTELEC de sa demande de dommages et intérêts pour violation de son exclusivité.
  3. COTELEC affirmait, enfin, qu’INGUN aurait capté sa clientèle.
    Le tribunal rappelle que l’article 8 du CPC édicte que « il incombe à chaque partie de prouver …les faits nécessaires au succès de ses prétentions »  et qu’en l’absence de dispositions de non-concurrence post-contractuelles c’est la libre concurrence qui prévaut postérieurement à la cessation des relations ; il est également constant que le démarchage de la clientèle n’a aucun caractère fautif en lui-même sauf à démontrer, par celui qui s’en dit la victime, qu’il s’agit d’une attitude systématique qui vise à lui nuire et que l’auteur du démarchage a commis des actes déloyaux sur sa clientèle habituelle ; or en l’espèce COTELEC ne le démontre pas et le tribunal l’a donc débouté.
  4. Reconventionnellement, INGUN demandait au tribunal de condamner COTELEC pour concurrence déloyale car elle avait appelé ses anciens clients pour la dénigrer et elle avait publié sur son site internet et sur les réseaux sociaux une information consistant à prétendre être toujours sa distributrice exclusive. COTELEC avait répondu, d’une part, qu’elle avait rapidement retiré cette information lorsqu’INGUN le lui avait enjoint et, d’autre part, que cette dernière n’avait pas pu subir un préjudice puisqu’elle avait réduit la durée de son préavis.
    Le tribunal rappelle que le parasitisme se définit comme un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’insère dans le sillage d’un autre pour profiter de ses investissements et que « la commission d’actes de parasitisme infère nécessairement un préjudice fût-il moral ». Or, il ressort des pièces que COTELEC a bien tenté de faire croire aux clients d’INGUN en France qu’elle en était toujours la distributrice exclusive afin de profiter de la notoriété de sa marque. Cependant, INGUN ne faisant pas valoir de préjudice économique mais simplement un préjudice moral, le tribunal, usant de son pouvoir d’appréciation, a considéré que l’allocation d’une somme de 20.000 € est de nature à compenser le préjudice ainsi créé.
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