SAS EIFFAGE CONSTRUCTION ALPES DAUPHINE c/ SASU HANVOL RG 2022062302 - Jugement du 07/06/2024 10ème chambre
Mots-clés :
CONSTRUCTION / Marchés à forfait
IRRECEVABILITE / Renonciation à recours
Sommaire :
Irrecevabilité : renonciation à recours - interprétation des clauses du contrat
Marché à forfait : bouleversement de l’économie du contrat - rémunération complémentaire
Le Centre Hospitalier Alpes Leman (CHAL) a conclu en 2008 un bail emphytéotique hospitalier avec la Société HANVOL lui confiant le financement, la conception, la construction, et l’entretien-maintenance du nouvel hôpital, HANVOL en étant le maître d’ouvrage, puis conclu avec HANVOL un avenant au bail emphytéotique pour l’extension et la restructuration de cet établissement.
Le 24 novembre 2016, HANVOL a conclu avec un Groupement Momentané d’Entreprises (GMEC), composé des sociétés EIFFAGE Construction Alpes Dauphiné et d’un cabinet d’architecture, un contrat de conception-construction de l’extension de l’hôpital pour un montant global forfaitaire de 13 M€ HT, EIFFAGE étant mandataire du GMEC.
Les travaux ayant été réceptionnés le 28 novembre 2019, EIFFAGE a demandé une rémunération complémentaire de 2,1 M€ HT pour les nombreux travaux complémentaires et modifications. HANVOL a transmis la demande au CHAL conformément au contrat (c’est CHAL qui en supportait finalement la charge via le bail avec HANVOL). CHAL l’ayant refusée, EIFFAGE a alors sollicité l’intervention du comité de résolution des litiges prévu au contrat. Ce dernier, le 11 mai 2022, a proposé que soit retenue une indemnisation de 126 K€ HT, qui a été refusée.
EIFFAGE demande la condamnation d’HANVOL à lui payer la somme de 2,1 M€ HT.
HANVOL soulève l’irrecevabilité de l’action d’EIFFAGE, au motif qu’elle a contractuellement renoncé à tout recours contre HANVOL, avant de s’opposer au fond de la demande.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par HANVOL
HANVOL se fonde sur les dispositions de l’alinéa 8 de l’article 4-2-2 du contrat « en cas de rejet partiel ou total de la réclamation, le concepteur-constructeur (EIFFAGE) ne doit engager aucune voie de recours à l’encontre du Preneur (HANVOL) au titre du contrat… ».
Le tribunal relève que l’article 27.2 dudit contrat prévoit, en revanche, que tout différend est porté devant le Comité de Résolution des Litiges en vue de rechercher une solution amiable et qu’à défaut il est porté devant le tribunal de commerce de Paris.
Il existe donc une contradiction entre les stipulations de l’article 4-2-2 et de l’article 27.2.de ce contrat.
Le tribunal rappelle que le droit d’accès au juge est un droit fondamental mais qu’il peut être admis que des clauses de non recours à l’action en responsabilité contractuelle puissent être stipulées, que cependant l’article 1170 du code civil pose une limite en disposant que de telles clauses ne peuvent priver de sa substance l’obligation essentielle de débiteur.
En l’espèce, l’obligation essentielle d’HANVOL est de payer le prix prévu ainsi que les travaux supplémentaires tels que prévus à l’article 1793 du code civil ou en cas de bouleversement de l’économie du contrat.
En application de l’article 1170 du code civil le tribunal dit recevables les demandes d’EIFFAGE.
Sur les demandes en paiement des frais supplémentaires
Le tribunal rappelle que le contrat conclu entre HANVOL et le GMEC est un marché à forfait d’un montant global forfaitaire de 13 M€ HT.
L’article 1793 du code civil dispose que, dans le cadre d’un marché à forfait, l’entrepreneur est lié par un prix forfaitaire et que toute augmentation de prix résultant de travaux supplémentaires doit être formalisée par un accord préalable et écrit du maître d’ouvrage. Cependant, il est admis que l’entrepreneur peut obtenir une rémunération complémentaire dans le cas d’un bouleversement de l’économie du contrat, s’il apporte la preuve que le maître d’ouvrage en est à l’origine.
Le tribunal examine donc chacun des postes de frais supplémentaires présentés par EIFFAGE à l’appui de sa demande de 2,1 M€. Après élimination de tout ce qui ne peut être pris en compte (travaux antérieurs à la signature du contrat, travaux pour lesquels aucune preuve n’est rapportée d’une demande d’HANVOL, travaux ayant fait l’objet d’un bon de commande et déjà payés, aléas inhérents à tout chantier, etc…), le tribunal retient que les travaux supplémentaires qui pourraient relever d’un bouleversement de l’économie du contrat représentent 614 K€, soit moins de 5 % du marché à forfait, ce que le tribunal juge insuffisant pour caractériser un bouleversement de l’économie du contrat.
Il relève, en outre, qu’HANVOL n’a ni convenu avec le GMEC du prix de ces travaux ni donné son accord par écrit, comme prévu par l’article 1793 du code civil.
En conséquence, le tribunal déboute EIFFAGE de sa demande de condamnation d’HANVOL.