SAS GSF AERO c/ SA ACNA RG 2021019749 – Jugement du 8 novembre 2021 – 9ème chambre
Mots-clés :
COMPETENCE / Compétence d’attribution
CONTRATS et OBLIGATIONS / Sous-traitance
Sommaire :
Compétence du tribunal de commerce lorsque le litige oppose le sous-traitant à son donneur d’ordre, même s’il est fondé sur un article du code du travail : OUI
Critères d’une reprise du personnel de l’activité sous-traitée : article L.1224-1 du code du travail.
ACNA, filiale de SERVAIR, est spécialisée dans le nettoyage des avions. GSF réalise pour le compte d’ACNA le nettoyage d’avions d’Air France, ce qui représente la totalité de son chiffre d’affaires. L’activité aérienne s’étant effondrée en raison du COVID, SERVAIR, invoquant la force majeure, informait GSF de la suspension du contrat la liant, depuis 2005, à ACNA. Puis, en juin 2020, cette dernière résiliait le contrat au 30 septembre en indiquant à GSF que, l’activité sous-traitée étant arrêtée, elle refusait de reprendre les 83 salariés.
GSF a alors obtenu le 24 septembre 2020, en référé, que le président de ce tribunal ordonne à ACNA de reprendre, sous astreinte, l’ensemble des moyens constitutifs d’une activité autonome affectée à l’exécution d’un contrat.
La cour d’appel, le 24 mars 2021, a infirmé l’ordonnance, retenant une disparition de l’activité de nettoyage, objet du contrat, et concluant qu’aucune entité économique n’était à reprendre.
GSF a alors saisi ce tribunal au fond, en lui demandant de condamner ACNA à reprendre l’ensemble des contrats de travail et des moyens matériels affectés à cette activité et à l’indemniser des préjudices subis en raison des salaires payés depuis la résiliation du contrat et des coûts du PSE qu’elle avait été obligée de mettre en œuvre.
Cette affaire soulevait deux questions : ce tribunal était-il compétent pour appliquer un article du code du travail et les conditions de mise en œuvre des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail étaient-elles remplies en l’espèce ?
1. La compétence
ACNA soutenait que l’application des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail s’inscrit dans le cadre de la compétence exclusive du conseil des prud’hommes, s’agissant de contrats de travail.
Le tribunal rappelle que la compétence exclusive de la juridiction prud’homale concerne les litiges opposant salariés et employeurs sur le fondement de leurs relations de travail.
Il en conclut que « le présent litige, opposant deux sociétés commerciales et ne portant nullement sur un différend né du contrat de travail, » relève bien de la juridiction commerciale et non prud’homale et se déclare compétent.
2. Les conditions de l’application de l’article 1224-1 sont-elles réunies ?
Le tribunal indique « qu’il lui appartient de vérifier si les 4 critères d’application dudit article sont cumulativement réunis » :
-Sur la modification de la situation juridique de l’employeur : le donneur d’ordre, ACNA, ayant notifié à son prestataire, GSF, la résiliation de son contrat de sous-traitance, le premier critère est rempli,
-Sur l’existence d’une entité économique autonome : le juge a observé que GSF avait repris le personnel du prestataire précédent et qu’elle l’avait affecté, de manière exclusive, au nettoyage d’avions, domaine dans lequel il était spécialisé, et ce en mettant à sa disposition l’essentiel des moyens nécessaires à cette activité : en conséquence le tribunal a dit que l’activité de GSF constituait une entité économique au sens du code du travail.
-Sur le maintien de l’entité : le tribunal constate qu’ACNA n’ayant pas justifié que l’évolution de l’activité aurait modifié l’identité de l’entité dont elle a refusé le transfert, il en résulte que l’entité autonome a donc bien conservé son identité.
-Sur la poursuite de l’activité : ACNA allègue que, en raison de l’effondrement du trafic aérien suite au COVID, l’activité confiée à GSF avait disparu.
Le tribunal dit que : « l’activité de nettoyage d’avions, quand bien même elle a pu momentanément être suspendue et plus durablement réduite, en raison de la crise sanitaire, n’a jamais totalement disparu… » car un avion ne peut voler sans avoir été nettoyé et que, même réduit, le trafic aérien n’a pas été durablement interrompu.
Le tribunal retient donc que :
- « les conditions de mise en œuvre de l’article L.1224-1 du code précité se sont trouvées réunies »,
- et que « les contrats de travail en cours au jour de la résiliation du contrat de sous-traitance ayant lié GSF à ACNA » auraient dû être « poursuivis par cette dernière ».
Il en conclut qu’ACNA a fautivement refusé de procéder au transfert des contrats de travail des salariés, a ainsi engagé sa responsabilité et devra réparer les préjudices qui en ont résulté pour GSF.