SAS JDH et M. X c/ NJJ Holding, EURAZEO GLOBAL INVESTOR et divers RG 2023014038 – jugement du 06.09.2024 – 16ème chambre
Mots-clés :
CONTRATS ET OBLIGATIONS / Vice du consentement
Sommaire :
Nullité d’un accord pour vice du consentement : en raison d’un « état de nécessité » ne pesant pas directement sur le contractant (NON) ; en raison de l’exploitation abusive d’un état de dépendance résultant d’une situation dont le demandeur est à l’origine (NON) ; sur le fondement de la violence résultant de la menace de l’exercice d’un droit (NON).
M. X a fondé et dirige la société Molotov, dont il détenait initialement plus de 90 % via sa holding JDH. A la suite d’une série d’augmentations de capital, sont entrées successivement au capital de Molotov les sociétés NJJ à hauteur de 40 % et Eurazeo à hauteur de 37 %, JDH ne détenant plus que 4 % en 2021.
Compte tenu des difficultés financières de Molotov et de ses besoins permanents de refinancement, les associés ont alors décidé de chercher un repreneur et ont confié un mandat à M. X à cette fin, moyennant, selon les termes d’un « term sheet » signé en juillet 2021, ci-après le TS, une rémunération de 30 M€ en cas de succès. Ayant découvert, au lendemain de la signature du TS, une offre d’acquisition que M. X avait cachée et qui devait être réalisée par échange d’actions d’une société cotée au NYSE, Eurazeo a fait savoir qu’elle préférerait renoncer à l’opération plutôt que de verser à M. X la rémunération prévue au TS, d’autant plus que sa plus-value finale allait dépendre de l’évolution du cours de l’action du repreneur.
Informé de ce désaccord, l’acquéreur américain n’entendait pas donner suite à son offre si le différend relatif à la rémunération d’intermédiaire persistait entre les cédants. C’est pourquoi, le 5 novembre 2021, JDH et M. X ont renoncé unilatéralement au TS puis sont convenus avec les deux autres actionnaires que leur serait versée une rémunération consistant en une rétrocession d’une partie de la plus-value qu’Eurazeo et NJJ pourraient réaliser lors la cession des actions du repreneur de Molotov. Le 7 novembre 2021, les quatre actionnaires ont signé un acte multipartite, aux termes duquel ils renonçaient à l’ensemble de leurs droits au titre du TS.
L’acquisition s’est alors effectuée, mais le cours du repreneur s’étant effondré peu après, ni Eurazeo ni NJJ n'ont réalisé de plus-values susceptibles d’être rétrocédées à M. X et à JDH.
M. X et JDH ont alors saisi ce tribunal pour condamner les défenderesses à leur payer la commission de 30 M€, stipulée par le TS, en prononçant à titre liminaire la nullité de leur renonciation à celui-ci pour vice du consentement : ils soutiennent qu’ils se trouvaient dans « un état de nécessité », car, si les deux autres actionnaires renonçaient à vendre Molotov, cette dernière risquait de devoir déposer son bilan, et qu’ils ont été soumis à la violence sur le fondement de l’article 1140 du code civil.
C’est chacun de ces deux points que le tribunal a dû examiner successivement.
1. Sur le fondement de l’exploitation abusive d’un état de nécessité
Le juge a :
- tout d’abord rappelé que l’état de nécessité doit être caractérisé dans la personne de celui qui l’invoque c’est-à-dire en l’espèce M. X et/ou JDH et relevé qu’en l’espèce la nécessité invoquée est relative aux difficultés de Molotov, tiers par rapport aux demandeurs, qui n’établissent de surcroît en aucune façon le risque personnel qui pèserait sur eux,
- observé que les difficultés financières de Molotov n’étaient pas nouvelles mais existaient depuis la création de la société,
- ensuite relevé que les difficultés de Molotov sont exclusivement imputables à la gestion de JDH et de son dirigeant M. X, qui ne peuvent se prévaloir d’une situation dont ils sont à l’origine pour caractériser un « état de nécessité ».
Le juge a donc jugé inopérant le moyen fondé sur un prétendu état de nécessité.
2. Sur le fondement de la violence
Le juge a rappelé que la violence ne peut être invoquée comme vice du consentement que dans deux cas :
- sur le fondement de l’article 1140 du code civil « lorsqu’une personne s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer…sa fortune à un mal considérable… ». Or la menace de l’exercice d’un droit (en l’espèce le droit pour Eurazeo et de NJJ de ne pas réaliser l’opération) ne constitue pas une contrainte illégitime, sauf à ce que le titulaire de ce droit en abuse pour obtenir un avantage excessif, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la seule conséquence pour les défenderesses étant de ne pas pouvoir céder leurs actions comme elles le souhaitaient.
- ou sur le fondement de l’article 1143 dudit code qui édicte « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». En l’espèce, M. X et JDH ne soutiennent pas s’être trouvés en état de dépendance à l’égard de Eurazeo et de NJJ, mais plaident que ces derniers auraient exploité de manière abusive des difficultés financières de Molotov. Or lesdites difficultés les affectaient autant que les demandeurs puisqu’elles détenaient 97% des actions.
En conséquence le juge a jugé inopérant l’argument tiré de la violence alléguée.
Les deux moyens des demandeurs pour faire juger nulle, pour vice du consentement, leur renonciation au term sheet, ayant été jugés non fondés, le juge les a déboutés de leur demande de versement de la commission flat stipulée dans celui-ci.