Société d’exploitation de l’hôtel particulier de M. X (SEHPSGA) c/ M. D et Mme G RG 2023070364 - ordonnance du 28 mars 2024
Mots-clés :
DROIT DES SOCIETES / Pactes d’associé – Dirigeants sociaux
IRRECEVABILITE/ Divers
Sommaire :
Irrecevabilité d’une assignation couverte par la désignation d’un mandataire ad hoc -Pouvoir du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de péril imminent même en présence d’une contestation sérieuse - Illicéité d’un compte courant d’associé débiteur – Exécution forcée d’un engagement de financement.
La Société d’exploitation de l’hôtel particulier de M. X, ci-après « SEHPSGA », a été constituée entre Mme G, propriétaire dudit hôtel particulier, et M.D afin de l’exploiter commercialement. Mme G et M. D sont tous deux co-gérants, avec 50 % des parts chacun. Ils ont conclu « un accord de Partenariat » par lequel Mme G mettrait gratuitement l’hôtel particulier à disposition de la société et M. D prendrait en charge le volet financier, soit en obtenant des concours bancaires, soit en finançant avec son compte courant d’associé, dont il ne demanderait le remboursement qu'une fois que la société serait bénéficiaire.
Par assignation devant ce tribunal, Mme G, en qualité de mandataire social de SEHPSGA, qui se trouve dans une situation financière très difficile, demande que M. D soit condamné à rembourser son compte-courant débiteur de 480 K€. Elle forme d’autre part, à titre personnel, une demande additionnelle visant à le voir condamné à apporter à la société 1,6 M€ en compte-courant, sous déduction éventuelle des 480 K€ euros auquel il pourrait être condamné par provision au titre de la demande précédente.
M. D soulève d'abord une exception de nullité et une fin de non-recevoir, puis conclut au fond sur les deux demandes.
C’est chacun de ces points que le tribunal a dû examiner successivement.
1. Sur la nullité et l’irrecevabilité
M. D soutenait que l’assignation était nulle en raison de l’imprécision des moyens en fait et en droit et irrecevable car SEHPSGA, représentée par l'un de ses gérants, ne pouvait pas assigner simultanément un gérant, M. D, et l’autre gérant, Mme G, à l'origine de l'assignation. Mme G, qui, agissant ès qualités, s’était assignée elle-même à titre personnel, se retrouvait simultanément en demande et en défense.
Sur la nullité, le juge a relevé que l'assignation était sans ambiguïté puisqu'elle faisait grief à M. D d’avoir rendu débiteur son compte courant d’associé auprès de la société, en se faisant payer des sommes qui auraient dû revenir à sa société patrimoniale (qui avait avancé des fonds à SEHPSGA pour payer diverses dépenses). L’assignation n’encourait donc pas la nullité.
Par ailleurs, le juge a constaté que, par une ordonnance rendue sur requête, un mandataire ad hoc avait été chargé de représenter la société dans la présente procédure. Le conflit d’intérêts mis en avant par le défendeur n’existant plus, le juge l’a débouté de sa fin de non-recevoir.
2. Sur le remboursement du compte courant débiteur
M. D soutenait que la complexité du dossier et l’imbrication des relations interpersonnelles avec les relations d’affaires entre les deux parties ne permettaient pas au juge des référés de statuer avec l’évidence requise et, de surcroît, que le péril imminent qui menacerait la société n’était pas démontré et donc que l’affaire devait être renvoyée devant le juge du fond.
Le juge a tout d’abord rappelé l’article 873 CPC : « Le président peut …, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite…».
Puis il a relevé que, dans la présente affaire, on était en présence à la fois d’un trouble manifeste et d’un péril imminent :
- « Trouble manifeste résultant de l’existence d’un compte courant d’associé débiteur, formellement contraire aux dispositions de l'article L123-13 du code du commerce et donc illicite» ;
- Péril imminent comme le montrent les nombreuses relances de fournisseurs suivies de mises en demeure et de menaces de suspension des prestations.
Le juge a donc dit inopérants les moyens soulevés par M. D et déclaré que les demandes relevaient effectivement du référé.
Sur le fond de la demande, M. D soutenait que sa société patrimoniale, ayant payé nombre de fournisseurs pour compte de SEHPSGA, se trouvait créancière de celle-ci pour près de 600 K€, qu’elle avait demandé que cette créance soit imputée sur le compte-courant d’associé de M. D, que les prélèvements de ce dernier sur son compte courant, alors créditeur au-delà de la somme prélevée, sont donc légitimes et qu’il n’y a donc pas lieu de procéder à un quelconque remboursement.
Le juge a rappelé que l’article L.223-21 du code de commerce édicte : «A peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés…de se faire consentir par elle (la société) un découvert, en compte courant », que cette disposition est d’ordre public et qu’en outre elle était reprise intégralement dans les statuts de SEHPSGA.
Or, le juge a constaté que les prélèvements avaient été opérés sans qu’il y ait eu au préalable la moindre notification à SEHPSGA d’une cession de créance qui aurait pu démontrer la validité de la compensation prétendue. Il a également relevé l’alerte faite par l’expert-comptable aux deux gérants, signalant l’existence d’un compte courant débiteur de M. D, et relevé que ce n’est qu’à la suite de cette alerte que M. D, en tant que président de sa société patrimoniale, a écrit à SEHPSGA pour lui notifier la cession de sa créance à M. D à titre personnel. Le juge a observé, enfin, que M. D., en qualité de président de sa société patrimoniale, s'est écrit à lui-même, gérant de SEHPSGA, dont le siège est installé à son domicile personnel et a conclu que ces lettres ont le caractère de courriers de complaisance rédigés « ad hoc ».
En conséquence le juge a dit que le courrier notifiant la cession de créance est dépourvu de force probante, a constaté dès lors que le compte-courant de M. D est bien débiteur de 480 K€ et il a condamné par provision M. D à payer à SEHPSGA la somme de 480 K€.
3. Sur la demande de condamnation de M. D à verser en compte courant une somme de 1,6 M€
Mme G demande au tribunal de condamner M. D, que ce soit en raison de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, ou au titre de trouble manifestement illicite ou en raison de dommage imminent, à verser à SEHPSGA, à titre d’avance en compte courant remboursable dans les conditions de l’article 2.5 du contrat du 19 décembre 2019, la somme de 1,6 M€.
Le juge relève que l’article 2.5 de l’accord de partenariat stipule que « L'investissement nécessaire à la réalisation de ces projets… sera réalisé… soit via des concours bancaires soit, en fonds propres, notamment par la mise en place d'un fonds de roulement……. via les comptes courants d'associés mis en place exclusivement par M.D qui s'engage à n’en demander le remboursement que lorsque la société sera bénéficiaire.. » ; et que l’accord ne fixe aucun plafond à l’engagement de M. D. Le juge relève également qu’il résulte de l’examen des comptes que la société a été mise en demeure par de très nombreux fournisseurs et prestataires de services pour des impayés multiples de factures et ce malgré un endettement bancaire très élevé, et que les besoins de trésorerie immédiats s’élèvent à 1,6 M€.
Le juge constate de plus que les moyens en réplique de M. D soit ne sont pas pertinents soit sont complètement inexacts et que, contrairement à ce qu’allègue ce dernier, l’article 2.5 de l’accord de partenariat est parfaitement clair : « il met l'ensemble du besoin de financement de la société à la charge de M. D et ce dernier doit faire son affaire de trouver des financements bancaires, ou apporter des liquidités en compte courant ».
En conséquence, le juge condamne M. D à verser, par provision, à la SEHPSGA, à titre d’avance en compte-courant remboursable, le montant de 1,6 M€ ci-dessus (besoin de trésorerie immédiat) sous déduction des 480 K€ qui auront été versés en exécution de la condamnation ci-dessus.